Samedi soir, le Faust de Gounod mis en scène par Heartbeat Opera au Baruch Performing Arts Center, dirigé par Jacob Ashworth, l’orchestre réduit à six ou sept musiciens, la volonté de simplifier, de rendre accessible, intelligible l’histoire, la pièce, de rendre sensible ce qui pouvait avoir vieilli, tout cela fonctionne bien, les dialogues insérés en anglais, les bouteilles de bière, les costumes qui n’en sont presque pas tant ils tendent à la banalité, il y a un côté brechtien aux mises en scène de Ashworth et Sarah Holdren, nous rappeler sans cesse que c’est un spectacle, nous rappeler le décalage de temps, de thème, l’histoire ne serait pas écrite comme cela aujourd’hui mais cela importe peu, et le personnage de Marguerite est vieillot lui aussi, tout comme l’ambition ratatinée de Faust, on ne perçoit pas bien l’urgence de leurs désirs, mais on perçoit son intensité, on perçoit l’amour de Valentin, le frère – il m’est impossible de ne pas être sensible à sa beauté physique, au décalage entre sa stature, son corps charpenté, habillé de bottes, en jeans, mimant tous les attributs de la masculinité américaine, celle qu’on a voulu aimer pendant le XXe siècle, celle qui disparait, qu’on va devoir reléguer dans un musée, elle n’est crédible que comme l’est encore celle du calme olympien de Tara et Twelve Oaks dans Autant en emporte le vent, mais on a encore le droit d’y succomber, de se laisser aller à un dernier élan de nostalgie pour ce qui nous a construit – et on devine bien le Mephisto derrière ses tenues poussées à l’outrance, mimant, elles, le queer contemporain, l’humour noir, l’humour cynique et bon enfant, offrant un contrepoint à la bien-pensance bigote de Marguerite. Et, pourtant, malgré tout cela, lorsque survient l’aria final qui sauve, la musique fonctionne, elle nous emporte, elle nous conquiert, on se laisse plonger dans la possibilité du miracle, de la rédemption, de la victoire du bien contre le mal, et le portrait final, le couple gay de Marguerite et Siebel qui embrasse entièrement sa féminité (le personnage du garçon amoureux était écrit en mezzo soprano par Gounod, un pressentiment d’homosexualité?).