J’ai fini le livre de Jean, le récit de Pierre Apraxine, l’histoire d’une vie, les mots d’une rencontre, Pierre n’aurait pas écrit sans Jean et, pour ceux qui connaissent Jean comme moi, il y a cette double voix, l’extrême attention aux mots de celui qui s’efface, la pudeur des deux, celui qui livre sa vie, celui qui n’ose écrire que lorsque c’est pour un autre, les deux hantés par la littérature, par des destins contrariés, par des réponses qui manquent, par l’homosexualité douloureuse (même quand elle est rédemptrice), par le temps qu’il faut combattre. Et puis la capacité de penser l’image, d’en vivre les possibilités comme une certitude qui permet d’énoncer des narrations comme si elles étaient des vérités scientifiques tout en sachant qu’elles sont aussi des chimères, des raisonnements qu’on peut retourner lorsqu’on leur enlève leur aspect subjectif. Derrière ce regard en duo, il y a la conscience de l’incommunicabilité des choses, de la solitude, des joies que l’amitié autorise à essayer de partager même si c’est une illusion. Le texte est une histoire de la photographie, une histoire de New York à une certaine époque, une histoire du sida et ses ravages, une histoire de la Russie qui s’effondre, une histoire du XXe siècle, une histoire du pouvoir de la littérature, une histoire de la fin des territoires inconnus, des grandes explorations, une histoire à la fois ouverte et refermée. C’est un roman autant qu’une lettre à tous ceux que l’un et l’autre n’auront pas eu le temps de rencontrer. La photographie est là aussi, évidemment, elle comble les vides, elle donne chair à l’aventure, une raison de poursuivre la narration, une raison de continuer à espérer, une raison de vivre. Mais, comme le texte, elle reste mystérieuse. Silencieuse.
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