zoomant - Antoine Vigne zoomant - Antoine Vigne zoomant - Antoine Vigne zoomant - Antoine Vigne zoomant - Antoine Vigne zoomant - Antoine Vigne zoomant - Antoine Vigne
Comme un fantôme qui vous hante.
Mais bienveillant. Et accueillant. Et magnifique dans son austère indifférence. Il n’y avait pas à lutter contre lui, juste apprendre à le connaître, et réaliser que c’était lui qui changeait, doucement, tranquillement, à un rythme qu’il était parfois impossible de percevoir mais dont le glissement rendait souvent flagrante la permanence de l’être.
Le Vent des plaines, 2018 (extrait)
peut-être as-tu raison de t’en aller
sans rien me dire
Luisance, (extrait)
Le bus partit et Juan le regarda s’éloigner vers l’autoroute dans un brouillard de poussière sèche. Il ouvrit le paquet, y trouvant une petite toile brodée où il reconnut immédiatement le mur frontière, les courbes de niveaux, les routes qui remontaient depuis Nogales et un écrou fracturé qui surplombait le tout et qui pouvait représenter à la fois la libération et la séparation. Ou peut-être les rêves brisés qui constituaient un nouveau départ à partir du moment où on le choisissait. Et, au-dessous de l’ensemble, Carmen avait placé quelques mots tout simples mais où il reconnut une phrase qu’il avait prononcée devant elle : « Les chauves-souris s’envolent vers les étoiles. » Et il se mit à pleurer.
American Dreamer, Éditions courtes et longues, 2019 (extrait)
la plage devant moi, la fin du territoire, la fin du continent, la terre qui devient sable, se fragmente, 
s’effrite, se désagrège puis disparaît sous l’eau, les vagues, l’écume, le mouvement perpétuel
j’ai toujours imaginé le début du monde ainsi :
des vagues qui s’abandonnent, la plage à perte de vue, le lien, le lieu de rencontre entre le liquide 
et le solide, l’échange et le reflux, l’union et la séparation, le soleil, l’astre, le silence, la lumière,
la non-conscience
l’être qui nait ne sait rien, il est attente, contemplation
désagrège, (extrait)
– J’ai dû changer, Abuelo.
– On ne change jamais tant que ça.
– Ça fait vingt ans. J’étais un enfant.
– Vingt ans, déjà ?
– Je suis désolé, Abuelo. »
Le grand-père posa sa main sur celle de son petit-fils.
« Je sais que tu vis loin. »
Il s’arrêta encore.
« Mais tu as eu raison de revenir. »
L’un et l’autre se turent pendant quelques instants.
« Tu veux un verre de mezcal ?
– À cette heure-ci ?
– On a bien le droit, une fois tous les vingt ans… »
American Dreamer, Éditions courtes et longues, 2019 (extrait)
« Cette histoire n’est rien. Un moment volé au temps. Quelques heures entre l’Atlantique et Détroit, suspendues dans la chaleur de l’été au-dessus de l’asphalte désagrégé des rues. Le rêve d’une ville en décadence, la vitrine de nos échecs et de nos faillites, le fossé dans lequel on ne cesse de jeter les corps dépecés des exclus et des abandonnés. Le monde tel qu’il est. Un chaos perpétuellement renouvelé que nous cherchons sans cesse à rationaliser pour lui donner un sens et satisfaire notre fantasme d’équilibre. Et au creux duquel nous inventons nos vies. »
Tout s’écoule, Éditions Bartillat, 2023 (extrait)
une photo sur Instagram,
ton fil qui s’évapore dans les montagnes fumeuses de Caroline du Nord
pourquoi l’as-tu postée au monde plutôt que de me la transmettre, à moi ?
quel égoïsme dans l’amour, quel égocentrisme (le mien)…
j’annule la possibilité de ton existence aux autres


te laisser reprendre ton souffle,
ne pas t’effrayer,
peut-être es-tu déjà mort à notre amour – quel droit ai-je de prononcer ce mot dans le doute –, à ce désir que tu inventes pour moi, je me laisse porter par le mirage
Luisance, (extrait)
Actualités
zoomant, 2024

 

la nuit qui tombe lentement colore les pins,  le bout du couloir : un télé-

objectif imaginaire zoomant sur l’assemblage des toits, des sternes passant sans bruit, un goéland plus ample dans son mouvement,

je sens encore ta main, ta peau laissée de l’autre côté de la porte

avec Malé qui t’aime, Malé qui tient, qui te retient

encore,

pourquoi n’as-tu pas pu laisser sa dévotion

tranquille sauver ce que tu es, un nucléon dansant dans le vide de la matière

– je lis : « les nucléons sont des baryons dont la durée de vie moyenne à l’état libre est d’un quart d’heure pour le neutron et de 1030 années pour le proton »,

10 années à la puissance 30,

cela veut-il dire que tu vivras

longtemps ?, je me perds dans les incompréhensions des signes, des mots –,

elle n’a pas peur comme toi, comme nous, notre trio invraisemblable qui penche vers le quatuor,

elle sait, elle s’accommode de tes incohérences, les miennes, celles de Saïd, les tiennes évidemment, celles des désirs, celles des besoins, celles des emportements,

elle sent la main qui veut s’abattre mais que tu arrêtes

chaque fois,

 

elle sait que tu luttes, elle sait que ce n’est pas elle que tu écartes lorsque la gifle vient sans venir, lorsque tu claques la porte, lorsque tu hurles

dans la voiture, Youssy se recroqueville et hurle aussi, Bila se fige mais tu t’arrêtes, tu sors, tu cours, tu pleures face aux roseaux, face aux phragmites en balancement, face à la plaine ouverte et les Alpilles qui veillent,

sais-tu ce que c’est

que de grandir avec un père (beau-père) pleurant au bord de la chaussée ?

le soleil noir succède aux grandes clartés, l’intermittence sans cesse plus erratique, plus folle,

comment te suivre là où tu t’en vas, Thaddée, quand tout est sombre, que les repères se brouillent

 

 

 

 

 

je sens encore

ta main, sa trace au creux

de la mienne, douceur que tu ne sais pas nommer mais que tu donnes, que tu procures, que tu exsudes et tu exaltes

quand tu souris à côté de moi, quand tu me laisses

marcher au bord de l’eau, quand tu me tiens – c’est toujours toi qui tiens, jamais l’inverse et je l’accepte car j’ai besoin de ta présence qui nie la mort, qui nie la solitude, qui nie le néant et la disparition,

celle de Duardo

(Duardo Céphas),

l’interruption du cours des choses,

ma vie

 

pourquoi n’ai-je jamais su te laisser t’enfuir, te libérer, me libérer aussi, partir avec Saïd, rejoindre la plage à Piémanson, suivre le flot qui coule vers l’Océan, le Sud, l’Afrique, une côte adverse mais belle, sensuelle, porteuse d’ailleurs qui court vers les déserts, les dunes, un vide qui sauve