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la nuit qui tombe lentement colore les pins, le bout du couloir : un télé-
objectif imaginaire zoomant sur l’assemblage des toits, des sternes passant sans bruit, un goéland plus ample dans son mouvement,
je sens encore ta main, ta peau laissée de l’autre côté de la porte
avec Malé qui t’aime, Malé qui tient, qui te retient
encore,
pourquoi n’as-tu pas pu laisser sa dévotion
tranquille sauver ce que tu es, un nucléon dansant dans le vide de la matière
– je lis : « les nucléons sont des baryons dont la durée de vie moyenne à l’état libre est d’un quart d’heure pour le neutron et de 1030 années pour le proton »,
10 années à la puissance 30,
cela veut-il dire que tu vivras
longtemps ?, je me perds dans les incompréhensions des signes, des mots –,
elle n’a pas peur comme toi, comme nous, notre trio invraisemblable qui penche vers le quatuor,
elle sait, elle s’accommode de tes incohérences, les miennes, celles de Saïd, les tiennes évidemment, celles des désirs, celles des besoins, celles des emportements,
elle sent la main qui veut s’abattre mais que tu arrêtes
chaque fois,
elle sait que tu luttes, elle sait que ce n’est pas elle que tu écartes lorsque la gifle vient sans venir, lorsque tu claques la porte, lorsque tu hurles
dans la voiture, Youssy se recroqueville et hurle aussi, Bila se fige mais tu t’arrêtes, tu sors, tu cours, tu pleures face aux roseaux, face aux phragmites en balancement, face à la plaine ouverte et les Alpilles qui veillent,
sais-tu ce que c’est
que de grandir avec un père (beau-père) pleurant au bord de la chaussée ?
le soleil noir succède aux grandes clartés, l’intermittence sans cesse plus erratique, plus folle,
comment te suivre là où tu t’en vas, Thaddée, quand tout est sombre, que les repères se brouillent
je sens encore
ta main, sa trace au creux
de la mienne, douceur que tu ne sais pas nommer mais que tu donnes, que tu procures, que tu exsudes et tu exaltes
quand tu souris à côté de moi, quand tu me laisses
marcher au bord de l’eau, quand tu me tiens – c’est toujours toi qui tiens, jamais l’inverse et je l’accepte car j’ai besoin de ta présence qui nie la mort, qui nie la solitude, qui nie le néant et la disparition,
celle de Duardo
(Duardo Céphas),
l’interruption du cours des choses,
ma vie
pourquoi n’ai-je jamais su te laisser t’enfuir, te libérer, me libérer aussi, partir avec Saïd, rejoindre la plage à Piémanson, suivre le flot qui coule vers l’Océan, le Sud, l’Afrique, une côte adverse mais belle, sensuelle, porteuse d’ailleurs qui court vers les déserts, les dunes, un vide qui sauve