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le creux de la vague et l’océan,
la peur panique, la liberté, le poids de ton corps quand il s’enfonce, tu rêves d’un champ de méduses voguant vers les tropiques, tu plonges au fond, tu plonges pour éviter
la houle, revenir à la matière, l’étreinte qui te rassure mais qui te hante, monde parallèle dans une infinité de parallèles,
le flot discontinu, la mer furieuse parce qu’il fait noir et tu ne vois rien
que l’écume, écran te giflant,
masquant le visage des naufragés, l’époque où tout est sombre et flou, une main t’échappe, des doigts devenus liquides, tu hurles et ils reviennent, s’élèvent au-dessus de l’onde, s’accrochent à une bouée, flotteurs
désespérés, un jouet d’enfant perdu et dis-
sonant dans le grondement, est-ce une brassière pour retenir le monde ?
en vain mais elle éclate
sous le poids, elle explose, devient déchet orange qui coule, qui sombre, s’enfonce
les profondeurs se dressent, fantômes aux creux immenses
tu nages, Saïd, tu nages quand même
d’une barque à l’autre, combien de mètres
à traverser ? comment toiser la mer qui tangue ? le gouffre s’étend, s’étire, vertigineu
-sement mais, dans tes yeux, tu marques la trace, le chemin, tu refuses l’abysse, toujours
tu guides
tes rescapés de l’à-venir, de l’eau-delà – peut-on penser le sauvetage avant le contournement du drame, l’esquive/bifurcation qui tord l’espace, le moment où tout s’abîme ? – mais tu survis, tu te dresses et tu
les guides vers un endroit où tout s’inverse,
tu pousses plus loin dans l’élément
inconsistant, l’insaisissable, suivi de Malé, Bila, Youssy qui tremble, ses lèvres grises, violettes, perturbant l’onde
obscure et sombre,
une voix accroche enfin ta main, la tire vers le canot qui sauve, des projecteurs
se braquent, tu te retournes
encore,
tu vis, Saïd, tu vis,
tu viens vers moi