À propos de Françoise Petrovitch - Antoine Vigne À propos de Françoise Petrovitch - Antoine Vigne À propos de Françoise Petrovitch - Antoine Vigne À propos de Françoise Petrovitch - Antoine Vigne À propos de Françoise Petrovitch - Antoine Vigne À propos de Françoise Petrovitch - Antoine Vigne À propos de Françoise Petrovitch - Antoine Vigne
Comme un fantôme qui vous hante.
Mais bienveillant. Et accueillant. Et magnifique dans son austère indifférence. Il n’y avait pas à lutter contre lui, juste apprendre à le connaître, et réaliser que c’était lui qui changeait, doucement, tranquillement, à un rythme qu’il était parfois impossible de percevoir mais dont le glissement rendait souvent flagrante la permanence de l’être.
Le Vent des plaines, 2018 (extrait)
peut-être as-tu raison de t’en aller
sans rien me dire
Luisance, (extrait)
Le bus partit et Juan le regarda s’éloigner vers l’autoroute dans un brouillard de poussière sèche. Il ouvrit le paquet, y trouvant une petite toile brodée où il reconnut immédiatement le mur frontière, les courbes de niveaux, les routes qui remontaient depuis Nogales et un écrou fracturé qui surplombait le tout et qui pouvait représenter à la fois la libération et la séparation. Ou peut-être les rêves brisés qui constituaient un nouveau départ à partir du moment où on le choisissait. Et, au-dessous de l’ensemble, Carmen avait placé quelques mots tout simples mais où il reconnut une phrase qu’il avait prononcée devant elle : « Les chauves-souris s’envolent vers les étoiles. » Et il se mit à pleurer.
American Dreamer, Éditions courtes et longues, 2019 (extrait)
la plage devant moi, la fin du territoire, la fin du continent, la terre qui devient sable, se fragmente, 
s’effrite, se désagrège puis disparaît sous l’eau, les vagues, l’écume, le mouvement perpétuel
j’ai toujours imaginé le début du monde ainsi :
des vagues qui s’abandonnent, la plage à perte de vue, le lien, le lieu de rencontre entre le liquide 
et le solide, l’échange et le reflux, l’union et la séparation, le soleil, l’astre, le silence, la lumière,
la non-conscience
l’être qui nait ne sait rien, il est attente, contemplation
désagrège, (extrait)
– J’ai dû changer, Abuelo.
– On ne change jamais tant que ça.
– Ça fait vingt ans. J’étais un enfant.
– Vingt ans, déjà ?
– Je suis désolé, Abuelo. »
Le grand-père posa sa main sur celle de son petit-fils.
« Je sais que tu vis loin. »
Il s’arrêta encore.
« Mais tu as eu raison de revenir. »
L’un et l’autre se turent pendant quelques instants.
« Tu veux un verre de mezcal ?
– À cette heure-ci ?
– On a bien le droit, une fois tous les vingt ans… »
American Dreamer, Éditions courtes et longues, 2019 (extrait)
« Cette histoire n’est rien. Un moment volé au temps. Quelques heures entre l’Atlantique et Détroit, suspendues dans la chaleur de l’été au-dessus de l’asphalte désagrégé des rues. Le rêve d’une ville en décadence, la vitrine de nos échecs et de nos faillites, le fossé dans lequel on ne cesse de jeter les corps dépecés des exclus et des abandonnés. Le monde tel qu’il est. Un chaos perpétuellement renouvelé que nous cherchons sans cesse à rationaliser pour lui donner un sens et satisfaire notre fantasme d’équilibre. Et au creux duquel nous inventons nos vies. »
Tout s’écoule, Éditions Bartillat, 2023 (extrait)
une photo sur Instagram,
ton fil qui s’évapore dans les montagnes fumeuses de Caroline du Nord
pourquoi l’as-tu postée au monde plutôt que de me la transmettre, à moi ?
quel égoïsme dans l’amour, quel égocentrisme (le mien)…
j’annule la possibilité de ton existence aux autres


te laisser reprendre ton souffle,
ne pas t’effrayer,
peut-être es-tu déjà mort à notre amour – quel droit ai-je de prononcer ce mot dans le doute –, à ce désir que tu inventes pour moi, je me laisse porter par le mirage
Luisance, (extrait)
Actualités
À propos de Françoise Petrovitch, 2022

Il y a une urgence du trait dans le travail de Françoise Pétrovitch, une urgence qui dit le monde. Son œuvre est foisonnante, protéiforme, elle s’incarne aussi bien dans la peinture que la sculpture, la gravure, la vidéo ou la danse, mais le dessin y sert toujours de ligne de force. Il guide la composition, les vides et les pleins, il introduit le moment où l’on se rend compte que l’on est sorti de la figuration pour entrer dans la couleur, dans l’abstraction.

Le monde de Françoise Petrovitch est intime, ambigu, inquiétant parfois. Il est traversé d’imaginaires qui se répètent comme des obsessions, des animaux, des enfants, des personnages de contes, Peau d’âne, l’ogre, Saint Sébastien. L’artiste invoque les « motifs-traits » qu’elle utilise pour naviguer entre l’intériorité et l’extériorité : les mains, les yeux fermés (ou masqués ou baissés), les figures étendues au sol, qui, elles aussi, reviennent et s’enchaînent jusqu’à la (con)fusion : de l’humain à l’animal, de l’enfance à l’âge adulte, de la présence à l’absence. Dans les dédoublements qui s’accomplissent, on sent l’écho de l’être qui glisse, sa fluidité. On sent aussi le dialogue que François Pétrovitch entretient avec ceux qui, comme elle, ont ressenti l’urgence d’exprimer le monde, des peintres de la préhistoire à Nancy Spero, de Matisse à Marguerite Duras, des maîtres de la nature morte à Louise Bourgeois.

Quant aux histoires déployées dans son travail, elles ne se referment jamais, elles s’ouvrent au contraire, elles laissent pénétrer les rêves, les fragments, les apparitions et les disparitions. On est toujours au bord d’un précipice, dans un monde où les femmes, la nature, l’enfance, le fragile, tout est soumis à la violence qui passe comme un grand vent. Et dans la peinture qu’elle a composée pour le timbre de la Poste, on voit un jeune garçon et un lézard et, à travers eux, le grand et le petit, le moi et l’autre. Là, le dialogue est un silence.