antoine vigne
MYSTÈRES JOYEUX
MYSTÈRES DOULOUREUX
(MD)
MYSTÈRES GLORIEUX
(EXTRAITS)
poèmes
2023-4…
esquive sans cesse, le flux et le reflux, un plein
s’évide
des textes, des mots, la roche se scinde,
dédoublement, séparation des anti-corps en duel,
mes pas, l’errance des lieux de drague aux sanctuaires, mes pèlerinages sans fin
peuplés de démons apprivoisés, circonvenus…
pourquoi revenir encore, toujours, au même sommet
pelé du mont où l’air est sombre, aux bords du fleuve où l’eau
est trouble, Jourdain de mon étran-
glement ?
pourquoi me plonger dans l’eau viciée du baptistère, l’eau
flasque, visqueuse, pleine d’algues, d’amibes qui me pénètrent, deviennent
sangsues qui me saignent alors qu’il ne reste en moi que le sang
vicié de ses contractions, l’entortillement
des chairs, l’Esprit, les ans passés à croire
qu’on peut rester ce qu’on EST et devenir ce qu’on
doit ÊTRE, mes genoux
sur le sol des pierres d’église, la dalle immaculée, un
crucifix
me surplombe, mes plaies
déversent ma vie dans les rainures pleuvant sur un abysse
peuplé des monstres qui se nourrissent
chaque jour de ma tristesse,
mon désarroi, la malédiction de mon âme, de mon corps, ta vie
désordonnée n’est pas conforme
au grand dessein
je ne peux plus voir une croix sans m’atrophier…
dés-
enfouir les pierres, gratter une terre qui m’a servi
à recouvrir les traces, Antigone luit, enfin conforme à mon désir
pluriel, des fondations émergent, cité des sables
qui attendait l’aurore, combien d’années, combien
de mètres cubiques de glaise épaisse
enveloppent encore l’épar-
pillé, l’estam-
pillé,…
l’or amati,
je m’agenouille devant l’hostie cariée,
adoration perpétuelle mais syncopée, tranchée en hémistiches,
exaltations qui se succèdent sans se rejoindre
jamais, je vis d’entrailles décomposées, montage-
séquence où chaque image peut se détacher du
TOUT, la ligne se rompt, j’ordonne cadence à ce qui devait être continuité,
des à côtés se surplombent et se survolent, j’impose l’invraisemblable pour
maintenir la flamme
sous un boisseau face à mes yeux
embués,
beauté de l’incertain, une intuition muette qui prémunit
contre le meurtre suprême,
tuer en moi
l’être naissant…
des voltes, des archivoltes, voûtes en berceau qui emmaillotent l’enfance
et mes fantasmes, un moine
s’agite, réclame son dû, j’arrive
des profondeurs,
claire-voies qui ne mènent à rien, qu’au vide béant,
engloutissant, j’arpente des sentes
magiques, décharge, feston, un polylobe abime l’ordonnancement
de la nef, le claveau déforme un équilibre qui bat
en touche, j’entends les contrepoints des Grégoriens, une nuit
mystique, des cris qui déchiquètent
mon âme, écartèlement paisible, j’attends de la souffrance
rétribution et délivrance, la lumière rouge au tabernacle embrase la pierre
tombale, sacrale et lacrymale, ambre où je me débats comme un insecte,
un offertoire du corps tétanisé par le mystère…
la glu qui tient mes jambes, mon tronc, ma langue
l’empois me submerge souvent, car j’ai aimé ce monde
d’avant,
l’avant d’avant,
son absolu, l’image
des champs/des chants où je chevauche, la pauvreté
des pierres, un étendard, l’élan
mystique, tous mes habits de moine, d’ermite, d’extase, de saint, aberrations
stigmatisées
en moi, ce corps souffrant entre des voûtes qui s’amalgament, l’écrasent,
mystères glorieux, mystères joyeux et douloureux, tous les mystères, emplir
ce vide, l’emplir pour ne plus craindre que s’y tapisse
un monstre, un autre, un Minotaure sans tête, des corps, des bouches,
désir concupiscent,
la chair qui veut la chair, non,
tomber
sur les pavés d’un Saint-Sépulcre :
mon corps se vide…
hululement de chouettes dans une forêt d’hiver
ton corps inerte et froid
me réchauffe
la glace qui nous enserre devient radeau d’un océan figé
je glisse
je tombe
de torses entorses
dans la nuée des stroboscopes
lueur…
la voûte sombre et claire, obscurité qui baigne l’éclat
des pierres mystiques, mes yeux illuminés par la pâleur d’une Croix qui périclite,
réécriture
du mythe, la mort d’un rédempteur devient
conflagration des impossibles, d’inextricables lianes
enfoncent leurs bras, la chair succombe mais glorifie
le supplice, syndrome classique,
Stockholm en 73,
je nais
quand on explique au monde l’amour du tortionnaire…
l’écho du vide engloutissant,
je vais à Tibériade où je lâche tout, la barque, la berge, la verge, ma vie
le mot fait chair devient stigmate
je suis la ligne qui plonge, m’entraîne aux profondeurs où des reflets
s’annulent, s’inversent, écrasent la plèvre, tordent
l’oxygène qui disparait
mes yeux se noient dans un fond d’or, une réfraction vers les abysses où tout
est sombre et froid, anamorphose de la chaleur qui veille les corps gelés,
transfigurés dans la pâleur de l’aube
subaquatique et sépulcrale
revenir à la surface…
malgré l’éloignement
tandis que chaque jour, chaque fois, j’espère, je cherche réponse/éclaircissement
à mes angoisses, l’éloignement m’entaille, le gouffre
s’évase entre le présent et l’englouti, entre ce point
incompressible de la naissance de l’être
et l’univers…
si les murailles de Jéricho, la citadelle que j’ai érigée en moi,
follement, imbécilement,
s’effondrent, que reste-t-il ?