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la plage, une autre plage, les vagues de l’Océan dévalent vers nous
la déflagration de chaque rouleau emporte le bourdonnement du large,
l’eau fracasse l’eau, morcèle son aire limpide, fragmente l’éclat
de l’onde
je me noie dans les embruns
qui se recoupent, se reforment dans un brouillard
tu m’as emmené dans le flot, je t’ai suivi sans réfléchir
l’excitation suffit pour faire n’importe quoi et c’est l’été,
Fire Island, la tequila sur la terrasse, les pins, le sable,
les grands buissons de genièvre, les pas sur la promenade
de bois qui claque, la peau des pieds qui brûle
et tu m’entraînes, tu me fais courir
tu sais que je n’aime pas les jours de houle, l’eau agacée
me fascine et me terrifie dans le même temps
mais tu m’entraînes quand même, tu ris
tu as ta tête de Caracas, celle des photos, de tes treize ans quand tu visites tes grands-parents,
ton corps bronzé, tes membres arqués
tu cours vers l’eau et elle t’accueille, je te suis,
tu nages plus loin, derrière la barre qui casse les vagues
mais vite, le roulement blanc, joyeux, ludique se transforme en tourbillon
tu perds ton assurance, je le vois, je m’inquiète car tu es le roc
qui me maintient, sans toi je glisse, je m’enfonce
mes pieds ne touchent plus le sol, je t’appelle, tu viens vers moi
quand même, la vague
t’emporte plus loin et moi aussi, dans ton sillage
le soleil se fait inaccessible, des nuages passent,
je nage encore, j’essaie de revenir, reprendre pied, mais le mouvement
de mes bras est contrarié
par le courant, tu ris, tu te forces à rire mais je perçois ton inquiétude,
je n’entends plus que le rugissement de l’eau qui tape sur l’eau
je dérive, mes bras s’agitent mais le reflux
vainc à chaque fois, les vagues me poussent puis me reprennent,
quand mes orteils retournent
au sable pour un instant, c’est pour sentir l’eau qui repart
immédiatement, m’aspire
je panique, tu n’es plus là, j’accroche des yeux
la plage qui nous fait face
le brouhaha m’assomme, m’éreinte, je crie, j’appelle
je ne perçois plus si c’est dans le bruit que je me noie ou l’eau
je voudrais fermer les yeux, le sel me brûle
et là, à quelques mètres, des garçons marchent, ils n’entendent pas,
ils croient qu’on joue, la détresse proche est invisible, imperceptible parce qu’elle menace
j’accepte l’absurdité de l’instant qui change l’été en monstre instantané
j’attends,
tangage de l’immobile
une vague plus forte survient, je sens ton bras qui passe
sous moi, me soulève, me pousse
j’atteins la berge, mes pieds s’enfoncent
dans le sable, je fuis, j’échappe
au monstre
sans me retourner, je sens ta présence qui me suit, qui m’accompagne
tu souffles, tu trembles aussi, nous avons froid
tu poses ta main sur le creux de ma hanche gelée
et tu m’arrêtes, tu prends ma tête entre tes mains, je vois
tes yeux, je me perds, tu ris
je ne peux pas rire pourtant
tu dis : « Jonah »
et je reviens, je ne sais pas d’où mais je reviens
le gouffre se cicatrise