oui, on peut donc dormir le premier soir après la victoire électorale du fascisme, sans doute parce que ce n’était pas le premier soir du fascisme en tant que tel, parce qu’on s’était habitué aux discours de haine, aux discours de peur, aux discours de puissance, de machisme, à la servilité et à la flatterie, aux mensonges et aux contre-vérités, à la célébration narcissique non seulement du chef mais du pays, du fantasme du passé, de la nation, de la morale, tous les fantasmes appelés à la rescousse pour nourrir le monstre de la paranoïa, de la défiance, de la récrimination en permanence, la crainte de l’ego qui se sent minuscule, qui hurle son mal-être parce que oui, le monde change, oui, le monde a changé, oui, nos systèmes de compréhension de la réalité se sont évanouis, emportés par les vents qu’on n’attendait pas, dieu tombe, l’occident tombe, la planète tombe, la puissance et la prospérité tombent, elles changent, elles mutent, deviennent monstrueuses, tout le monde s’essouffle à redonner un sens à ce qui était, l’histoire, l’histoire chérie, nos attachements, tous les mensonges pour lesquels on nous demandait de mourir,
nous (ce nous indéfini que j’aime)
sommes mieux armés que d’autres, oui nous, qui avons souffert la perte des repères, la perte du sens originel, nous qui avons été bouté hors de nos racines, hors de nos églises, le monde s’était déjà écroulé pour nous, les mensonges avaient déjà percé le ciel, les firmaments, il fallait bien continuer à avancer, savoir que ce ne serait pas le monde qui nous sauverait, pas dieu, pas la nation, mais nous, les corps, les lèvres, les bras, la présence, les meurtrissures devenues emblèmes
et puis abandonner l’idée du sens, redevenir les antilopes qui broutent dans la savane sans se soucier du lion qui vient,
pleurer tout de même
pleurer mais courir, parfois pour échapper, parfois pour s’enivrer,
le lion se fatigue
toujours
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